Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/48

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lui avois demandé, et, en ayant sçu la valeur, je m’adressa à la bourgeoise, que je priai courtoisement de me montrer son achat, afin de trouver occasion de l’accoster. Une autre de sa compagnie, qui tenoit le collier, me le montra de fort bon gré, et lui dit après, en le lui rendant : Tenez, la fiancée, retournons-nous-en au logis, il est déjà tard.

Je connus, par ces paroles, que cette jeune mignarde étoit sur le point d’être mariée, et que c’étoit qu’elle achetoit tout ce qui lui étoit de besoin. Il y avoit avec elle un bon vieillard qui déboursoit tout l’argent : je le pris du commencement pour son père ; mais je fus étonné, lorsque, après qu’ils s’en furent allés, l’orfévre me dit : Regardez, monsieur, voilà le fiancé ; n’est-il pas bien digne d’épouser une telle femme que celle-ci ? Je ne lui répondis que par un souris, et commandai tout bas à un de mes laquais de suivre ces gens-là pour voir en quel logis ils entreroient.

L’orfévre ne me put rien dire de leurs noms ni de leurs qualités pour cette heure-là ; mais il me promit qu’il en apprendroit quelque chose d’un de ses amis qui les connoissoit. Après avoir acheté un diamant de fort peu de valeur et avoir commandé que l’on me fît un cachet de mes armes, je m’en retournai à ma demeure ordinaire, où mon laquais, qui étoit infiniment bien instruit aux commissions amoureuses, me vint rapporter tous les tenans et les aboutissans du logis de celle que j’appelois déjà ma maîtresse. Qui plus est, il me dit que le nom du vieillard qui l’accompagnoit étoit Valentin, comme il avoit appris, par hasard, d’un homme qui lui avoit dit adieu tout haut dans la rue. Le lendemain, je ne manquai pas à faire mes promenades par devant la maison où mes délices étoient enfermées. J’eus le bien de voir ma bourgeoise à sa porte, et la saluai avec une contenance où elle put bien remarquer quelque chose de l’affection que j’avois pour elle.

De là j’allai querir mon cachet sur le pont au Change, où l’orfévre me confirma ce que mon laquais m’avoit dit, que le fiancé s’appeloit Valentin, et me dit, de surplus, qu’il étoit à un grand seigneur nommé Alidan, dont il avoit toujours fait les affaires. Quant à la fiancée, il m’assura qu’elle s’appeloit Laurette ; mais il ne me put rien dire au vrai de son extraction.