Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/506

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feroit point changer de lieu. L’on sçut bientôt que l’on l’avoit accusé de fausse monnoie, à cause de quelques pièces fausses que l’on avoit trouvées sur lui : l’on disoit bien que ce n’étoit pas là un sujet de l’arrêter, et tous ses amis se mirent à faire des sollicitations envers les grands qu’ils connoissoient pour remontrer qu’il étoit de très-bonne vie et qu’il n’eût pas voulu faire une lâche action ; mais qu’au contraire il avoit tant de mérite, que toutes les personnes de vertu avoient intérêt à le défendre. Il y eut aussi beaucoup de seigneurs italiens qui promirent d’y employer tout leur crédit. Néanmoins l’on ne put pas obtenir qu’il sortît du lieu où il étoit pour avoir entièrement sa liberté, car l’on dit qu’il falloit qu’il se justifiât auparavant, et que l’on devoit souffrir qu’il demeurât dans cette maison, où il ne recevoit point d’infamie, puisque ce n’étoit pas une prison ordonnée pour les criminels. Voilà donc ce qu’ils purent faire ; et ceux qui étoient de sa conversation ordinaire s’en allèrent reconduire Raymond chez lui, où ils voulurent s’arrêter pour prendre conseil de ce qu’ils avoient à faire le lendemain. Il y avoit Audebert, du Buisson et deux ou trois autres. Hortensius y étoit aussi venu, qui se désespéroit de l’infortune de son cher Francion. Il disoit que la police moderne n’étoit pas bien exercée ; que l’on laissoit courir quantité de monnoie fausse ou rognée sans l’arrêter dès sa source et voir de qui elle venoit, et que, lorsque quelqu’un en avoit, au lieu de la porter aux changeurs établis par les princes, l’on tâchoit de la faire courir et de tromper son prochain ; que c’étoit une conscience d’en user de la sorte ; que cela étoit cause que les faux-monnoyeurs et les rogneurs de pistoles trouvoient toujours quelqu’un à qui ils donnoient leurs mauvaises pièces, et qui les distribuoit après à d’autres ; que celles dont Francion avoit été trouvé saisi étoient venues ainsi de quelque mauvais lieu, et que l’on les lui avoit données par artifice, lui faisant quelque payement en un lieu obscur. Raymond lui dit qu’il ne se falloit point imaginer cela et que Francion se connoissoit trop bien en argent, mais que l’on lui avoit mis ces pièces fausses dans sa pochette comme ils étoient le matin dans une église, et qu’il le témoigneroit à tout le monde. Chacun s’étonnoit de cette méchanceté, et le pédant Hortensius commença à faire des invectives contre les