Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/513

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clarer les choses que l’on lui demandoit, et qu’il faisoit passer le temps inutilement ; de manière qu’il dit qu’il ne pouvoit dire autre chose, sinon qu’il étoit venu pour assister les sbires qui venoient faire leur recherche dans la maison d’un homme accusé de fausse monnoie, et qu’encore qu’il ne fût pas sbire il alloit ainsi souvent avec eux pour leur servir de support ; et qu’en ce qui étoit de l’entreprise qu’ils avoient faite, c’étoit par ordonnance de justice. Raymond lui dit qu’il y avoit du malentendu là-dessus, et que, puisqu’il n’étoit pas officier de justice, ce n’étoit pas sans mauvais dessein qu’il se rangeoit avec eux, mais il ne le vouloit point avouer. Au contraire, il dit qu’il y en avoit plusieurs qui en faisoient de même que lui. Le courage lui étoit petit à petit revenu : il avoit dessein de garder le secret tant qu’il pourroit ; mais Raymond, voyant son opiniâtreté, fit allumer du feu et y fit mettre rougir une pelle pour lui en chauffer la plante des pieds. Il tâchoit encore à se souvenir de quelque autre tourment pour le gêner, et il les proposoit tous à ce méchant Corsègue, afin de l’épouvanter davantage ; mais à peine se pouvoit-il imaginer alors que des hommes fussent si impitoyables que de traiter ainsi leur semblable : il faisoit le prud’homme et le consciencieux, disant qu’il eût mieux aimé mourir que de faire tort à son prochain ; qu’il tâchoit seulement de gagner honnêtement sa vie, en sollicitant quelquefois des affaires ou bien en faisant quelquefois le commandement des juges avec les ministres de la justice ; mais on ne le tenoit pas néanmoins pour un innocent. Hortensius disoit tout haut que, s’il étoit coupable de l’injure qu’on avoit faite à Francion, il n’y avoit supplice au monde qui ne fût trop doux pour le punir ; que ce n’étoit pas assez de l’attacher à un corps mort, comme Mézentius[1] y faisoit attacher ceux qui l’avoient offensé ; ni de le jeter dans le taureau d’airain où Phalaris[2] fit brûler celui qui l’avoit forgé ; ni de lui couper les sourcils

  1. Roi des Tyrrhéniens.
  2. Tyran d’Agrigente, Crétois d’origine. Il s’était emparé du pouvoir l’an 566 avant l’ère chrétienne. Le mécanicien Pérille lui ayant fait hommage d’un taureau de cuivre destiné à enfermer des condamnés qu’on voudrait brûler à petit-feu, Phalaris trouva piquant de l’expérimenter sur l’inventeur.