Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/92

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l’avoit mise en gage ; et celui à qui elle appartenoit étoit contraint de l’aller retirer de son argent, s’il la vouloit ravoir.

Elle faisoit une infinité d’autres profitables galanteries, et ne considéroit point la beauté, la courtoisie ni la gentillesse de personne pour l’affectionner davantage que les autres. Je l’avois avertie de ne se point laisser enbéguiner par ces fadaises-là, qui n’apportent pas de quoi dîner, et son humeur libre la portoit assez à suivre mon conseil. Ceux qui étoient prodigues acquéroient seulement ses bonnes grâces ; et encore falloit-il qu’ils eussent de la modestie, et qu’ils gardassent le silence, pour parvenir aux suprêmes degrés de la félicité d’amour, d’autant qu’elle vouloit toujours paroître chaste.

Elle ne sortoit guère que les bons jours, et paroissoit si gentille à la maison, coiffée en demoiselle, que les plus belles de la cour lui eussent porté envie. Aussi y eut-il un seigneur nommé Alidan, qui, la voyant en cet état à la fenêtre, en passant par notre rue, la trouva la plus aimable fille du monde, et s’informa curieusement qui elle étoit. Comme il sçut que c’étoit Laurette, dont il avoit ouï faire du récit à des courtisans, il fut encore plus embrasé, au souvenir des preuves que l’on lui avoit donné beaucoup de fois de son gentil esprit.

Tout aussitôt il se résolut d’acquérir une si belle possession ; et, lui étant avis que je ne la donnerois pas pour quelque prix que ce fût, il crut qu’il lui étoit nécessaire de la faire enlever. De tous côtés il nous faisoit épier par ses gens ; et, comme j’étois un soir à la ville, il envoya un carrosse devant notre porte : un homme de bonne mine en sortit, qui alla faire accroire à Laurette qu’au lieu d’aller où je lui avois dit en partant j’avois été chez un galant homme, où je l’attendois, et qu’il falloit qu’elle se mît dedans le carrosse pour m’y venir trouver. De mauvaise fortune Laurette étoit toute vêtue à cette heure-là, si bien qu’elle ne se fit guère prier pour sortir de la maison, parce que même il étoit vrai que j’allois souvent chez celui où l’on lui disoit que j’étois.

Le carrosse étant arrivé en la maison d’Alidan, elle fut reçue de son nouvel amant comme vous pouvez penser. Quoi-