Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes. » Des relations bien conduites et des conventions de commerce bien conclues préparent entre deux peuples les liens les plus bienfaisants ; mais le contraire n’est pas moins vrai, et l’expérience le vérifie plus fréquemment. Montesquieu semble donc avoir généralisé trop vite en affirmant que « l’effet naturel du commerce est de porter à la paix ». Le commerce a besoin de la paix, mais il engendre un esprit de concurrence, très âpre, très jaloux et très soupçonneux, qui pousse à des conflits aussi ardents que les rivalités politiques, et à des luttes de tarifs aussi implacables que les guerres de limites.

Si Montesquieu avait pu connaître la constitution des États-Unis, il aurait amendé, en plus d’un point, ses chapitres sur la démocratie ; s’il avait observé les mœurs des Américains, il aurait modifié plusieurs de ses vues sur le commerce. Ce n’est point qu’il ait manqué de pressentiments sur l’avenir réservé aux grandes nations industrielles. Il a observé les principales des difficultés qu’éprouvent ces nations à soutenir leurs mœurs publiques : elles doivent combattre les effets mêmes du travail qui les fait vivre : « Dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent. L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice