Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/145

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l’entendre, et la méthode historique sans essayer de l’appliquer.

Montesquieu avait un ami dans cette école. C’était Helvétius : il composa un traité sur l’esprit en général, mais il ne comprit point celui de Montesquieu. Il avait de l’aplomb, à défaut de profondeur ; il résuma, en quelques lignes, toutes les objections des abstracteurs de politique contre l'Esprit des lois : « Vous prêtez souvent au monde une raison et une sagesse qui n’est au fond que la vôtre… Un écrivain qui voulait être utile aux hommes devait plus s’occuper de maximes vraies dans un ordre de choses à venir, que de consacrer celles qui sont dangereuses… Je ne connais de gouvernements que de deux espèces : les bons et les mauvais ; les bons sont encore à faire. » Helvétius trouvait que Montesquieu apportait trop de complications dans la politique, que son hygiène était trop lente, et qu’elle exigeait trop de patience de la part du médecin, trop de vertu de la part du malade. Pourquoi tant de conseils minutieux, de diète et de régime ? Une bonne formule était si aisée à trouver et une bonne panacée si facile à prendre ! « Mon intention, » disait Montesquieu de quelqu’un qui le critiquait ainsi, « a été de faire mon ouvrage et non pas le sien. » Helvétius, qui redoutait l'Esprit des lois pour la réputation de son ami, se serait bien trouvé de l’échange.

Montesquieu s’était montré méprisant de la ferme, des fermiers et des traitants de toute espèce. Il y en eut un qui voulut se venger : il se nommait Claude