Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/146

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Dupin, et il compila en 1749 des Réflexions sur quelques parties d’un livre intitulé de l’Esprit des lois. Ce titre était d’un sot, et le livre valait le titre. « Si vous prétendez à quelque place, disait Dupin, vous ferez bien de prendre une autre route ; celle-ci ne vous y conduirait pas. » La place où prétendait Montesquieu était de celles dont les Dupin ne disposent pas. « Me voilà, écrivait-il à un ami, cité au tribunal de la maltôte… » Dupin n’osa pas pousser l’affaire jusqu’au bout, et se contenta de faire circuler ses deux volumes sous le manteau. Il se rencontrait, dans ce factum, sinon des réflexions, au moins des remarques justes. Montesquieu n’était point sans inadvertances et sans distractions. Dupin releva ces erreurs, et Voltaire, plus tard, en fit son profit dans les écrits qu’il composa sur Montesquieu, l’A B C en 1768, et le Commentaire sur l’Esprit des lois en 1777.

Voltaire préparait l'Essai sur les mœurs lorsque parut l'Esprit des lois. Il semble que ce chef-d’œuvre l’ait gêné. Il n’aimait point Montesquieu. Montesquieu montrait peu de goût pour Voltaire, ne voyant guère en lui qu’un polisson de lettres : « Il serait honteux pour l’Académie que Voltaire en fût, et il lui sera quelque jour honteux qu’il n’en ait pas été. » « Il a trop d’esprit pour m’entendre », ajoutait Montesquieu. Voltaire n’écouta qu’à demi et n’entendit qu’à moitié. Il s’arrêta aux pointes, et aperçut à peine le fond. Il loua Montesquieu lorsqu’on l’attaquait, il l’attaqua lorsqu’on le louait, l’écorchant toujours, même en paraissant le caresser, et couvrant ensuite la