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d’ébranler l'autel et le trône. Crevier entreprit de le démontrer, avec pièces à l’appui, et publia en 1764 un volume intitulé : Observations sur le livre de l’Esprit des lois. Crevier savait l’histoire ancienne et n’eut pas de peine à prendre, ça et là, Montesquieu en défaut. Il avait l’esprit naturellement lourd, il eut encore moins de peine à en fournir la preuve. Il reprit la thèse des Nouvelles ecclésiastiques : ne voyant dans Montesquieu qu’un littérateur avide d’une gloire malsaine, il ne découvrit dans l'Esprit des lois que l’esprit de vanité, de paradoxe et de faction. « À force d’être ami des hommes, disait-il, l’auteur de l'Esprit des lois cesse d’aimer autant qu’il le doit sa patrie… L’Anglais doit être flatté en lisant cet ouvrage, mais cette lecture n’est capable que de mortifier les bons Français. »

Crevier disait vrai quand il parlait ainsi des Anglais. Ils se montraient flattés du livre ; ils faisaient mieux : ils en profitaient. Ils pratiquaient, jusque-là, leur constitution sans l’analyser. Montesquieu leur donnait la raison d’être de leurs lois. Il forma parmi eux des disciples. Blackstone procède de lui, et tous les commentateurs de la constitution anglaise relèvent de Blackstone. Il y faut comprendre le Genevois De Lolme ; son ouvrage, qui parut en 1771, donna la description détaillée de ce régime, dont Montesquieu n’avait présenté que les principes et les maximes.

Bien avant que les Européens songeassent à approprier ces maximes aux anciennes institutions monar-