Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/153

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chiques du continent, les Américains, par une expérience plus hardie, les avaient appropriées à la démocratie. Montesquieu avait pressenti que les colonies américaines de l’Angleterre se détacheraient de la métropole, et il avait indiqué la forme fédérative comme le seul moyen de concilier ces éléments que l’antiquité n’avait point réunis : l’étendue des frontières, la démocratie et la république. Washington connaissait l'Esprit des lois, et l’influence de ce livre sur les auteurs de la constitution des États-Unis ne saurait être contestée. Les Américains se sont éclairés des vues de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs ; ils ont placé la démocratie dans les États de l’Union, dont le territoire est restreint ; ils ont placé la république dans la fédération de ces États. Ils ont pu organiser cette démocratie et cette république parce qu’ils en avaient les mœurs : ils gardaient de leurs origines puritaines le sentiment religieux très intense, la soumission à la règle, le renoncement à soi-même, qui étaient, selon Montesquieu, l’essence des vertus républicaines. Tout en modifiant la disposition des lois conseillées par Montesquieu aux républiques, ils justifiaient sa pensée fondamentale, et complétaient son œuvre.

Ces traditions et ces mœurs, qui faisaient la force des Américains dans leur révolution, n’existaient point en France. On y était plus près, tout compte fait, de la Rome de César que de l’Angleterre de Cromwell. Lorsque Montesquieu pensait à la France, il ne pensait jamais ni à la démocratie ni à la répu-