Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/155

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tres exemplaires des uns et des autres : Charlemagne, qui domine toute l’histoire ; saint Louis, « la loi, la justice, la grandeur d’âme » ; Louis XII, « le meilleur citoyen » ; Henri IV, « qu’il suffit de nommer », et Coligny, Turenne, Catinat ; puis, pour le contraste et la démonstration par le pire, Richelieu, Louvois, Louis XIV : le despotisme et ses instruments de règne.

Montesquieu esquisse cet idéal et ne s’aperçoit pas que la France, telle qu’il la décrit, rend impossible la France telle qu’il la conçoit. Il voudrait rendre du nerf à des institutions qui se meurent : le principe en est corrompu, et il a démontré lui-même que, quand le principe se corrompt, le gouvernement touche à sa ruine. La couronne a tout nivelé et tout envahi. Elle a concentré tous les pouvoirs et rapproché tous les rangs, en les aplatissant devant soi. Les nobles sont déchus à l’état de courtisans : or, « l’ambition dans l’oisiveté, la bassesse dans l’orgueil, le désir de s’enrichir sans travail, l’aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l’abandon de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l’espérance de ses faiblesses, et, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois, le caractère du plus grand nombre des courtisans, marque dans tous les lieux et dans tous les temps ». L’honneur même ne supplée pas les vertus qui leur manquent : leur honneur, bâtard et servile, n’est qu’une forme de leur abaissement. « On peut