Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/20

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et ce n’est guère, en effet, que par ses ouvrages que nous pouvons nous faire une idée de sa vie et de ses sentiments.

De taille moyenne, maigre, nerveux, la figure longue, élégante, au profil très marqué, un profil de médaille, le nez fort, la bouche fine, railleuse, sensuelle, le front un peu fuyant, l’œil largement ouvert et bien qu’affaibli de bonne heure et prématurément voilé, plein de feu, plein de génie, avide de clarté : « Je vois, disait-il, la lumière avec une espèce de ravissement. » Une physionomie bien française, avec des traits gascons très accusés : les deux caractères se mêlent en lui.

Le gascon forme le fond primitif et gouverne l’instinct. Montesquieu a gardé de cette origine, non seulement l’accent, dont il fait coquetterie, mais l’allure, la gasconnade, au bon sens du mot, une sorte de point d’honneur sur l’article de l’esprit. Sa conversation était pleine de saillies, de surprises et de ressauts. Il est resté beaucoup de cette conversation dans son style : les coupures un peu brusques, les digressions multipliées, les coups d’éloquence familière, les percées de malice et de raillerie, pour tout dire, le laisser aller de la causerie, et, dans le trop-plein de la mémoire et l’excès de la verve, un abandon qui s’égare parfois jusqu’à la licence.

Montesquieu aime Montaigne ; il le range parmi les grands poètes ; il s’en délecte, il s’en nourrit et, par moments, il le ressuscite. Il a, comme lui, une curiosité insatiable et cet appétit de connaître, qui