Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/21

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est comme une jeunesse inaltérable de la pensée : « Je passe ma vie à examiner ; … tout m’intéresse, tout m'étonne ; je suis comme un enfant dont les organes, encore tendres, sont vivement frappés par les moindres objets. » Possédé de la passion des lectures, il voyage à travers sa bibliothèque, il s’y promène, il y chasse, il y butine ; il barbouille ses livres de notes. Cette battue en forêt anime constamment et féconde sa pensée. Il se complaît aux anecdotes significatives, aux traits qui caractérisent un homme ou un pays, aux historiettes même qui ne sont que divertissantes et ne peignent que la sottise ou la bonté de l'homme de tous les temps. Il les recueille, il les retient, et, pour peu que l’occasion l’y sollicite, il ne résiste pas au plaisir de les raconter. Nombre de bizarreries, d’allégations et de citations étranges qui surprennent jusque dans les chapitres les plus graves de l'Esprit des lois, procèdent uniquement de cette verve native. Montesquieu cite, à propos des lois, « qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution », Arribas, roi d’Épire, et les lois des Molosses. Que font ici Arribas et les Molosses ? demande un critique. Ils font voir que l’auteur a lu Montaigne, et qu’il est du même pays.

Mais il est, en même temps, Français et très Français, de la France sérieuse et méditative. Montaigne a dispersé sa pensée ; Montesquieu a besoin de rassembler la sienne ; il est avide d’ordre, de méthode, de suite. Il lui faut du conseil dans toutes les affaires, des rapports et des enchaînements de causes.