Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/41

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tune ». Il est implacable pour les hommes qui parviennent par ce chemin. Il flétrit ces spadassins d’alcôve, prototypes de Lovelace et de Valmont, qui font carrière publique de dépravation et tirent insolemment vanité de leur scélératesse : « Que dis-tu d’un pays où l’on tolère de pareilles gens, et où l'on laisse vivre un homme qui fait un tel métier ? où l’infidélité, la trahison, le rapt, la perfidie et l’injustice conduisent à la considération ? » Ce n’est plus le frivole ou le mondain qui parle ici, c’est le gentilhomme parlementaire ; on se rappelle la harangue de don Louis à don Juan et la majestueuse remontrance du père du Menteur.

C’est le même esprit, bien plus proche de Saint-Simon que de Voltaire, qui perce dans la continuelle satire du roi, de la cour et des grands. Montesquieu exècre Louis XIV, qu’il a vu dans sa décrépitude, infatué de son règne, adulé par les subalternes, enviant au sultan des Turcs la simplicité de son gouvernement. Il n’accorde à Louis que les formes de la justice, de la politique et de la dévotion : rien que l’air d’un grand roi. Injuste pour le maître, il ne l’est point pour les valets. Je ne trouve pas dans La Bruyère de touche plus dure que celle-ci : « Le corps des laquais est plus respectable en France qu’ailleurs ; c’est un séminaire de grands seigneurs ; il remplit le vide des autres états. Ceux qui le composent prennent la place des grands malheureux, des magistrats ruinés, des gentilshommes tués dans les fureurs de la guerre ; et,