Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/57

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à rebours, Bonneval, qui se préparait à mettre en pratique, au naturel, les Lettres persanes, et milord Chesterfield, qui se lia de grande amitié avec le voyageur français. Il observa l’aristocratie, le Conseil des Dix, les sbires et les inquisiteurs d’État. Il les regardait avec quelque persistance ; il sentit qu’on le regardait à son tour avec la même attention ; il en prit ombrage, quitta précipitamment Venise et jeta ses notes à la mer. L’Italie l’enchanta ; elle lui ouvrit les yeux sur les beaux-arts. Il se piquait d’être éclectique, en matière d’amitié : on le vit fréquenter, à la fois, dans le même commerce cordial, le cardinal de Polignac, ambassadeur de France, auteur de l'Anti-Lucrèce, le pasteur calviniste Jacob Vernet, et plusieurs Monsignors italiens : il en goûtait la compagnie, étant fort intime depuis longtemps avec un Piémontais, l’abbé comte de Guasco, qui ne se posait point précisément en « docteur grave », mais qui passait, à juste titre, pour le plus honnête et galant homme d’Église qui se pût rencontrer.

L’année 1728 se finit pour Montesquieu en Italie ; il employa les premiers mois de 1729 à parcourir la Suisse, les pays du Rhin et la Hollande, où il retrouva Chesterfield. Ce lord l’emmena en Angleterre. Montesquieu y resta du mois d’octobre 1729 au mois d’août 1731. Il fréquenta le Parlement et apprit à lire les écrits politiques de Locke. Il fit ainsi la découverte du gouvernement libre, et conçut le dessein de la révéler à l’Europe. Il n’y avait guère