Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/105

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plus difficile à diriger : il est assez aisé de soulever des colères populaires, mais il est malaisé de les faire cesser. Tant qu’il n’y aura point de très riches syndicats, fortement centralisés, dont les chefs seront en relations suivies avec les hommes politiques[1], il ne sera point possible de savoir jusqu’où peut aller la violence. Jaurès voudrait bien qu’il existât de telles sociétés ouvrières, car le jour où le grand public s’apercevrait qu’il n’est pas en mesure de modérer la révolution, son prestige disparaîtrait en un instant.

Tout devient question d’appréciation, de mesure, d’opportunité ; il faut beaucoup de finesse, de tact et d’audace calme pour conduire une pareille diplomatie : faire croire aux ouvriers que l’on porte le drapeau de la révolution, à la bourgeoisie qu’on arrête le danger qui la menace, au pays que l’on représente un courant d’opinion irrésistible. La grande masse des électeurs ne comprend rien à ce qui se passe en politique et n’a aucune intelligence de l’histoire économique ; elle est du côté qui lui semble renfermer la force et on obtient d’elle tout ce qu’on veut lorsqu’on peut lui prouver qu’on est assez fort pour faire capituler le gouvernement. Mais il ne faut pas cependant aller trop loin, parce que la bourgeoisie pourrait se réveiller et le pays pourrait se donner à un homme d’état résolument

  1. Gambetta se plaignait de ce que le clergé français fut « acéphale » ; il aurait voulu qu’il se formât dans son sein une élite avec laquelle le gouvernement pût discuter (Garilhe. Le clergé séculier français au XIXe siècle, p. 88-89.) Le syndicalisme n’a pas de tête avec laquelle on puisse faire utilement de la diplomatie.