Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/116

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champ de bataille des affaires[1], en sorte que l’esprit général du pays serait en pleine harmonie avec celui des milliardaires ; nos hommes de lettres sont fort surpris de voir ceux-ci se condamner à mener, jusqu’à la fin de leurs jours, une existence de galériens, sans songer à se donner une vie de gentilshommes, comme font les Rothschild.

Dans une société aussi enfiévrée par la passion du succès à obtenir dans la concurrence, tous les acteurs marchent droit devant eux comme de véritables automates, sans se préoccuper des grandes idées des sociologues ; ils sont soumis à des forces très simples et nul d’entre eux ne songe à se soustraire aux conditions de son état. C’est alors seulement que le développement du capitalisme se poursuit avec cette rigueur qui avait tant frappé Marx et qui lui semblait comparable à celle d’une loi naturelle. Si, au contraire, les bourgeois, égarés par les « blagues » des prédicateurs de morale ou de sociologie, reviennent à un « idéal de médiocrité conservatrice », cherchent à corriger les « abus » de l’économie et veulent rompre avec la barbarie de leurs anciens, alors une partie des forces qui devaient produire la tendance du capitalisme est employée à l’enrayer, du hasard s’introduit et l’avenir du monde est complètement indéterminé.

  1. P. de Rousiers, La vie américaine, L’éducation et la société, p. 19. « Les pères de famille donnent peu de conseils à leurs enfants et les laissent apprendre leur leçon eux-mêmes, comme on dit là-bas » (p. 14). « Non seulement [l’Américain] veut être indépendant, mais il veut être puissant » (p. 6).