Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grâce à eux, nous savons que la grève générale est bien ce que j’ai dit : le mythe dans lequel le socialisme s’enferme tout entier, c’est-à-dire une organisation d’images capables d’évoquer instinctivement tous les sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par le socialisme contre la société moderne. Les grèves ont engendré dans le prolétariat les sentiments les plus nobles, les plus profonds et les plus moteurs qu’il possède ; la grève générale les groupe tous dans un tableau d’ensemble et, par leur rapprochement, donne à chacun d’eux son maximum d’intensité ; faisant appel à des souvenirs très cuisants de conflits particuliers, elle colore d’une vie intense tous les détails de la composition présentée à la conscience. Nous obtenons ainsi cette intuition du socialisme que le langage ne pouvait pas donner d’une manière parfaitement claire-et nous l’obtenons dans un ensemble perçu instantanément[1].


Nous pouvons encore nous appuyer sur un autre témoignage pour démontrer la puissance de l’idée de grève générale. Si cette idée était une pure chimère, comme on le dit si fréquemment, les socialistes parlementaires ne s’échaufferaient pas tant pour la combattre ; je ne sache pas qu’ils aient jamais rompu des lances contre les espérances insensées que les utopistes ont continué de faire miroiter aux yeux éblouis du peuple[2]. Dans une

  1. C'est la connaissance parfaite de la philosophie bergsonienne.
  2. Je n'ai pas souvenir que les socialistes officiels aient montré tout le ridicule des romans de Bellamy, qui ont eu