Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/201

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mais seulement comme une recette pour se procurer certains avantages[1].

J’ai dit que Marx rejetait toute tentative ayant pour objet la détermination des conditions d’une société future ; on ne saurait trop insister sur ce point, car nous voyons ainsi que Marx se plaçait en dehors de la science bourgeoise. La doctrine de la grève générale nie aussi cette science et les savants ne manquent pas d’accuser la nouvelle école d’avoir seulement des idées négatives ; quant à eux, ils se proposent le noble but de construire le bonheur universel. Il ne me semble pas que les chefs de la social-démocratie aient été toujours fort marxistes sur ce point ; il y a quelques années, Kautsky écrivait la préface d’une utopie passablement burlesque[2].

Je crois que, parmi les motifs qui ont amené Bernstein à se séparer de ses anciens amis, il faut compter l’horreur qu’il éprouvait pour les utopies de ceux-ci. Si Bernstein avait vécu en France et avait connu notre syndicalisme révolutionnaire, il aurait vite aperçu que celui-ci est dans la véritable voie marxiste ; mais ni en Angleterre, ni en Allemagne, il ne trouvait un mouvement ouvrier pouvant le guider ; voulant rester attaché aux réalités, comme l’avait été Marx, il crut qu’il valait mieux faire de la politique sociale, en poursuivant

  1. Pour employer le langage de la nouvelle école, la science était considérée du point de vue du consommateur et non du point de vue du producteur.
  2. Atlanticus, Ein Blick in den Zukunftsstaat. — E. Seillière en a donné un compte rendu dans les Débats du 16 aout 1899.