Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/206

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que son héros manquait du sentiment artistique dans ses fameux Salons, parce que Diderot appréciait surtout les tableaux quand ils sont propres à provoquer des dissertations littéraires[1]. Brunetière a pu dire que les Salons de Diderot sont la corruption de la critique, parce que les œuvres d’art y sont discutées comme pourraient l’être des livres[2].

L’impuissance du discours provient de ce que l’art vit surtout de mystères, de nuances, d’indéterminé ; plus le discours est méthodique et parfait, plus il est de nature à supprimer tout ce qui distingue un chef-d’œuvre ; il le ramène aux proportions du produit académique. Ce premier examen des trois plus hauts produits de l’esprit nous conduit à penser qu’il y a, dans tout ensemble complexe, à distinguer une région claire et une région obscure, et que celle-ci est peut-être la plus importante. L’erreur des médiocres consiste à admettre que cette deuxième partie doit disparaître par le progrès des lumières et que tout finira par se placer sur les plans de la petite science.

Cette erreur est particulièrement choquante pour l’art, et surtout peut-être pour la peinture moderne qui exprime, de plus en plus, des combinaisons de nuances qu’on aurait refusé jadis de prendre en considération à cause de leur peu de stabilité, et par suite de la difficulté de les exprimer par le discours[3].

  1. J. Reinach, Diderot, pp. 110-117. 12S-127, 131-132.
  2. Brunetière, Évolution des genres, p. 122. Il appelle ailleurs Diderot un philistin, p. 153.
  3. Les impressionnistes eurent le grand mérite de montrer que l’on peut traduire ces nuances par la peinture ;