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Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/22

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S’il est d’un tempérament exalté et si, par malheur, il se trouve armé d’un grand pouvoir, lui permettant de réaliser un idéal qu’il s’est forgé, l’optimiste peut conduire son pays aux pires catastrophes. Il ne tarde pas à reconnaître, en effet, que les transformations sociales ne se réalisent point avec la facilité qu’il avait escomptée ; il s’en prend de ses déboires à ses contemporains, au lieu d’expliquer la marche des choses par les nécessités historiques ; il est tenté de faire disparaître les gens dont la mauvaise volonté lui semble dangereuse pour le bonheur de tous. Pendant la Terreur, les hommes qui versèrent le plus de sang furent ceux qui avaient le plus vif désir de faire jouir leurs semblables de l’âge d’or qu’ils avaient rêvé, et qui avaient le plus de sympathies pour les misères humaines : optimistes, idéalistes et sensibles, ils se montraient d’autant plus inexorables qu’ils avaient une plus grande soif du bonheur universel.


Le pessimisme est tout autre chose que les caricatures qu’on en présente le plus souvent : c’est une métaphysique des mœurs bien plutôt qu’une théorie du monde ; c’est une conception d’une marche vers la délivranceétroitement liée : d’une part, à la connaissance expérimentale que nous avons acquise des obstacles qui s’opposent à la satisfaction de nos imaginations (ou, si l’on veut, liée au sentiment d’un déterminisme social),— d’autre part, à la conviction profonde de notre faiblesse naturelle. Il ne faut jamais séparer ces trois aspects du pessimisme, bien que dans l’usage on ne tienne guère compte de leur étroite liaison.

1. Le nom de pessimisme provient de ce que les histo-