Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/23

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riens de la littérature ont été très frappés des plaintes que les grands poètes antiques ont fait entendre au sujet des misères qui menacent constamment l’homme. Il y a peu de personnes devant lesquelles une bonne chance ne se soit pas présentée au moins une fois ; mais nous sommes entourés de forces malfaisantes qui sont toujours prêtes à sortir d’une embuscade, pour se précipiter sur nous et nous terrasser ; de là naissent des souffrances très réelles qui provoquent la sympathie de presque tous les hommes, même de ceux qui ont été favorablement traités par la fortune ; aussi la littérature triste a-t-elle eu des succès à travers presque toute l’histoire[1]. Mais on n’aurait qu’une idée très imparfaite du pessimisme en le considérant dans ce genre de productions littéraires ; en général, pour apprécier une doctrine, il ne suffit pas de l’étudier d’une manière abstraite, ni même chez des personnages isolés, il faut chercher comment elle s’est manifestée dans des groupes historiques ; c’est ainsi qu’on est amené à ajouter les deux éléments dont il a été question plus haut.

2. Le pessimiste regarde les conditions sociales comme formant un système enchaîné par une loi d’airain, dont il faut subir la nécessité, telle qu’elle est donné en bloc, et qui ne saurait disparaître que par une catastrophe l’entraînant tout entier. Il serait donc absurde, quand on admet cette théorie, de faire supporter à quelques hom-

  1. Les plaintes que firent entendre les prétendus désespérés au début du xixe siècle, durent en partie leur succès aux analogies de forme qu’elles présentent avec la véritable littérature pessimiste.