Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/240

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toutes les jouissances que procure celle-ci ; en utilisant les mauvais instincts et la sottise de leurs hommes, ils réalisent ce curieux paradoxe de faire applaudir par le peuple l’inégalité des conditions au nom de l’égalité démocratique. Il serait impossible de comprendre les succès des démagogues, depuis les temps d’Athènes jusqu’à la New-York contemporaine, si on ne tenait compte de la force extraordinaire que possède l’idée de vengeance pour oblitérer tout raisonnement.

Je ne crois pas qu’il y ait de moyens propres à faire disparaître cette influence funeste des démagogues, autres que ceux que peut employer le socialisme en propageant la notion de grève générale prolétarienne : il éveille au fond de l’âme un sentiment du sublime en rapport avec les conditions d’une lutte gigantesque ; il fait tomber au dernier rang le besoin de satisfaire la jalousie par la méchanceté ; il fait apparaître au premier rang l’orgueil de l’homme libre et ainsi met l’ouvrier à l’abri du charlatanisme des chefs ambitieux et avides de jouissances.


B. — Les grandes différences qui existent entre les deux grèves générales (ou les deux socialismes) deviennent encore plus claires quand on rapproche les luttes sociales et la guerre : celle-ci est, en effet, susceptible de donner aussi naissance à deux systèmes opposés, en sorte que l’on peut dire sur la guerre les choses les plus contradictoires, en s’appuyant également sur des faits incontestables.

On peut la considérer du côté noble, c’est-à-dire comme l’ont considérée les poètes célébrant les armées qui ont