Ce que Bernstein a bien reconnu, c’est que la dictature du prolétariat correspond à une division de la société en maîtres et en asservis ; mais il est curieux qu’il n’ait pas aperçu que l’idée de grève politique (qu’il accepte aujourd’hui dans une certaine mesure) se rattache, de la manière la plus étroite, à cette dictature des politiciens qu’il redoute. Les hommes qui auraient pu organiser le prolétariat sous la forme d’une armée, toujours prête à obéir à leurs ordres, seraient des généraux qui établiraient l’état de siège dans la société conquise ; nous aurions donc au lendemain d’une révolution la dictature exercée par l’ensemble des politiciens qui ont déjà formé un groupe compact dans le monde actuel.
J’ai déjà rappelé ce que Marx disait des gens qui restaurent l’État, en créant un embryon de société future de maîtres dans la société contemporaine. L’histoire de la Révolution française nous montre comment les choses se passent. Les révolutionnaires adoptent des dispositions telles que leur personnel administratif soit prêt à s’emparer brusquement de l’autorité dès que l’ancien personnel abandonne la place, de sorte qu’il n’y ait aucune solution de continuité dans la domination. Rien n’égaie l’admiration de Jaurès pour ces opérations, qu’il rencontre au cours de son Histoire socialiste, dont il ne comprend point parfaitement le sens, mais dont il devine l’analogie avec ses propres conceptions de révolution sociale. La veulerie des hommes de ce temps fut si grande que parfois la substitution du nouveau personnel à l’ancien prenait des allures bouffonnes ; nous trouvons toujours un état surnuméraire (un État postiche, pour employer une expression de ce temps), qui est organisé d’avance à côté