Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’État légal, qui se regarde comme un pouvoir légitime avant de devenir un pouvoir légal, et qui profite du moindre incident pour prendre le gouvernement que lâchent les mains débiles des autorités constituées[1].

L’adoption du drapeau rouge constitue un des épisodes les plus singuliers et les plus caractéristiques de cette époque. Cet insigne était employé, en temps de troubles, pour prévenir que la loi martiale allait être appliquée ; le 10 août 1792 il devint le symbole révolutionnaire, en vue de proclamer « la loi martiale du peuple contre les rebelles du pouvoir exécutif ». Jaurès commente ce fait en ces termes : « c’est nous, le peuple, qui sommes maintenant le droit… nous ne sommes pas des révoltés. Les révoltés

  1. Une des comédies cocasses de la Révolution est celle que raconte Jaurès dans la Convention, pp. 1386-1388. Au mois de mai 1793 s’était établi à l’Évêché un comité insurrectionnel, qui forme un État postiche qui, le 31 mai, se rend à l’Hôtel de ville et déclare que le peuple de Paris retire les pouvoirs de toutes les autorités constituées ; le Conseil général de la Commune n’ayant aucun moven de défense « n’avait plus qu’à céder », mais il le fit en se donnant des grands airs tragiques : discours pompeux, embrassades générales, « pour attester qu’il n’y a ni dépit d’amour-propre chez les uns, ni orgueil de domination chez les autres », et puis « un serment civique fort, modéré et grave » ; enfin la bouffonnerie se termine par un arrêté réintégrant dans ses fonctions le Conseil qu’on vient de dissoudre. Jaurès a ici des mots charmants : le comité révolutionnaire « déliait [l’autorité légale] de toutes les entraves de la légalité ». Cette belle réflexion est la reproduction du fameux mot des bonapartistes : « Sortir de la légalité pour rentrer dans le droit. »