Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/25

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dû naître dans des populations urbaines, commerçantes et riches, qui pouvaient regarder le monde comme un immense magasin rempli de choses excellentes, sur lesquelles leur convoitise avait la faculté de se satisfaire[1]. J’imagine que le pessimisme grec provient de tribus pauvres, guerrières et montagnardes, qui avaient un énorme orgueil aristocratique, mais dont la situation était par contre fort médiocre ; leurs poètes les enchantaient en leur vantant les ancêtres et leur faisaient espérer des expéditions triomphales conduites par des héros surhumains ; ils leur expliquaient la misère actuelle, en racontant les catastrophes dans lesquelles avaient succombé d’anciens chefs presque divins, par suite de la fatalité ou de la jalousie des dieux ; le courage des guerriers pouvait demeurer momentanément impuissant, mais il ne devait pas toujours l’être ; il fallait demeurer fidèle aux vieilles mœurs pour se tenir prêt à de grandes expéditions victorieuses, qui pouvaient être très prochaines.

Très souvent on a fait de l’ascétisme oriental la manifestation la plus remarquable du pessimisme ; certes Hartmann a raison quand il le regarde comme ayant seulement la valeur d’une anticipation, dont l’utilité aurait été de rappeler aux hommes ce qu’ont d’illusoire les biens vulgaires ; il a tort cependant lorsqu’il dit que l’ascétisme enseigna aux hommes « le terme auquel devaient aboutir leurs efforts, qui est l’annulation du

  1. Les poètes comiques athéniens ont dépeint, plusieurs fois, un pays de cocagne où l’on n’a plus besoin de travailler. (A. et M. Croiset, Histoire de la littérature grecque, tome III, pp. 472-474.