Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/26

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vouloir »[1] ; car la délivrance a été tout autre chose que cela au cours de l’histoire.

Avec le christianisme primitif nous trouvons un pessimisme pleinement développé et complètement armé : l’homme a été condamné dès sa naissance à l’esclavage ; — Satan est le prince du monde ; — le chrétien, déjà régénéré par le baptême, peut se rendre capable d’obtenir la résurrection de la chair par l’eucharistie[2] ; il attend le retour glorieux du Christ qui brisera la fatalité satanique et appellera ses compagnons de lutte dans la Jérusalem céleste. Toute cette vie chrétienne fut dominée par la nécessité de faire partie de l’armée sainte, constamment exposée aux embûches tendues par les suppôts de Satan ; cette conception suscita beaucoup d’actes héroïques, engendra une courageuse propagande et produisit un sérieux progrès moral. La délivrance n’eut pas lieu ; mais nous savons par d’innombrables témoignages de ce temps ce que peut produire de grand la marche à la délivrance.

Le calvinisme du xvie siècle nous offre un spectacle qui est peut-être encore plus instructif ; mais il faut bien

  1. Hartmann, loc. cit., p. 492. — « Le mépris du monde associé à une vie transcendante de l’esprit, était professé dans l’Inde par l’enseignement ésotérique du bouddhisme. Mais cet enseignement n’était accessible qu’à un cercle restreint d’initiés, engagés dans le célibat. Le monde extérieur n’en avait pris que la lettre qui tue, et son influence ne se manifestait que sous les formes extravagantes de la vie des solitaires et des pénitents. » (p. 439.)
  2. Batiffol, Études d’histoire et de théologie positive, 2e série, p. 162.