Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/304

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en effet, à s’imaginer que les choses puissent marcher autrement que par la grâce, le favoritisme et les pots-de-vin.

J’ai souvent entendu dire à des avocats que le prêtre ne parvient pas à comprendre que certains faits, que le code ne punit point, sont cependant des scélératesses ; et par le notaire d’un évêque que si la clientèle des couvents est excellente, elle est aussi fort dangereuse, parce que ceux-ci sollicitent fréquemment la rédaction d’actes frauduleux. Beaucoup de personnes, en voyant les congrégations religieuses élever, il y a une quinzaine d’années, tant de monuments fastueux, se demandèrent si un vent de folie ne passait point sur l’Église ; ils ignoraient que ces constructions permettaient à une foule de gens pieux et coquins de vivre aux dépens des trésors cléricaux. On a souvent signalé l’imprudence commise par les congrégations qui s’obstinaient à poursuivre des procès longs et coûteux contre le Trésor public ; cette tactique permettait aux radicaux d’entretenir contre les moines une vive agitation, en dénonçant l’avarice de gens qui se disent voués à la pauvreté ; mais ces procès faisaient très bien les affaires d’une armée de chicaneaux pieux. Je ne crois pas exagérer en disant que plus d’un tiers de la fortune ecclésiastique a été dilapidé au profit de vampires.

Dans le monde catholique règne donc une improbité générale, qui conduit les dévots à supposer que les relations économiques dépendent principalement des caprices des gens qui tiennent la caisse. Tout homme qui a profité d’une bonne aubaine — et pour eux tout profit