Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/322

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« la France a perdu ses mœurs. Non pas que les hommes de notre génération soient, en effet, pires que leurs pères… quand je dis que la France a perdu ses mœurs, j’entends, chose fort différente, qu’elle a cessé de croire à ses principes. Elle n’a plus ni intelligence ni conscience morale, elle a perdu jusqu’à la notion des mœurs. Nous sommes arrivés, de critique en critique, à cette triste conclusion, que le juste et l’injuste, dont nous pensions jadis avoir le discernement, sont termes de convention, vagues, indéterminables ; que tous ces mots Droit, Devoir, Morale, Vertu, etc., dont la chaire et l’école font tant de bruit, ne servent à couvrir que de pures hypothèses, de vaines utopies, d’indémontrables préjugés ; qu’ainsi la pratique de la vie, dirigée par je ne sais quel respect humain, par des convenances, est au fond arbitraire[1]. »

Cependant il ne pensait pas que la société contemporaine fût frappée de mort ; il pensait que depuis la révolution l’humanité avait acquis une assez claire notion de la justice pour qu’elle pût triompher de déchéances passagères ; par cette conception de l’avenir, il se séparait complètement de ce qui devait devenir la notion la plus fondamentale du socialisme officiel d’aujourd’hui, qui se moque de la morale. « cette foi juridique… cette science du droit et du devoir, que nous cherchons partout en vain, que l’église ne posséda jamais et sans laquelle il nous est impossible de vivre, je dis que la révolution en a produit tous les principes ; que ces principes, à notre insu, nous régissent et nous soutiennent, mais que, tout en les affirmant au fond du cœur, nous y

  1. Proudhon, De la Justice dans la Révolution et dans l’Église, tome I p. 70.