Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/333

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dignitaires du socialisme parlementaire de l’accuser d’avoir des tendances anarchistes ; je ne fais aucune difficulté, pour ma part, de me reconnaître anarchisant à ce point de vue, — puisque le socialisme parlementaire fait profession d’avoir pour la morale un mépris à peu près égal à celui qu’ont pour elle les plus vils représentants de la bourgeoisie boursicotière.

On reproche aussi parfois à la nouvelle école de revenir aux rêveries des utopistes ; cette critique montre combien nos adversaires comprennent mal les œuvres des anciens socialistes et la situation actuelle. Jadis on cherchait à fabriquer une morale qui fût capable d’agir sur les sentiments des gens du monde pour les rendre sympathiques à ce qu’on nommait avec pitié les classes déshéritées, et les amener à faire quelques sacrifices en faveur de frères malheureux. Les écrivains de ce temps se représentaient l’atelier sous un aspect tout autre que celui qu’il peut avoir dans une société de prolétaires voués à un travail progressif ; ils supposaient qu’il pourrait ressembler à un salon dans lequel des dames se réunissent pour faire de la broderie ; ils embourgeoisaient ainsi le mécanisme de la production. Enfin ils attribuaient aux prolétaires des sentiments fort analogues à ceux que les explorateurs du xviie et du XVIIIe siècles avaient attribués aux sauvages : bons, naïfs et désireux d’imiter les hommes d’une race supérieure. Sur de telles hypothèses, il était facile de concevoir une organisation de paix et de bonheur : il s’agissait de rendre meilleure la classe riche et d’éclairer la classe pauvre. Ces deux opérations semblaient très faciles à réaliser, et alors la fusion s’opérait dans ces ateliers de salon, qui ont fait tourner la tête de