Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/389

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Rousseau ; celui-ci avait rêvé une cité habitée par des artisans suisses et raisonné sur l’homme anhistorique d’après ses impressions de nomade. Les législateurs de la Révolution, grands admirateurs des Américains et de Jean-Jacques, crurent faire un chef-d’œuvre en proclamant les droits de l’homme absolu.

On a souvent cité les plaisanteries que faisait, en 1796, Joseph de Maistre à propos des travaux de nos assemblées constituantes ; elles avaient voulu faire des lois « pour l’homme. Or, disait-il, il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, des Français, des Italiens, des Russes, etc ;.. mais quant à l’homme. je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu… Une constitution qui est faite pour toutes les nations, n’est faite pour aucune : c’est une pure abstraction, une œuvre scolastique faite pour exercer l’esprit d’après une hypothèse idéale et qu’il faut adresser à l’homme, dans les espaces imaginaires où il habite. Qu’est-ce qu’une constitution ? n’est-ce pas la solution du problème suivant ? Étant données la population, la religion, la situation géographique, les relations politiques, les richesses, les bonnes et les mauvaises qualités de chaque nation, trouver les lois qui lui conviennent ?[1] »

Les formules du spirituel écrivain reviennent à dire que les législateurs doivent être de leur pays et de leur le commerce. »

  1. Joseph de Maistre, Considérations sur la France, chap. VI, ad finem. — Il y a une grande analogie entre la formule citée ici et le sous-titre de l’Esprit des lois : « Des rapports que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, la religion, le commerce. »