Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/46

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de notre moi que son fantôme décoloré… Nous vivons pour le monde extérieur plutôt que pour nous ; nous parlons plus que nous ne pensons ; nous sommes agis plus que nous n’agissons nous-mêmes. Agir librement c’est reprendre possession de soi, c’est se replacer dans la pure durée. »[1].

Pour comprendre vraiment cette psychologie, il faut se « reporter par la pensée à ces moments de notre existence où nous avons opté pour quelque décision grave, moments uniques dans leur genre, et qui ne se reproduiront pas plus que ne reviennent pour un peuple les phases disparues de son histoire »[2]. Il est bien évident que nous jouissons de cette liberté surtout quand nous faisons effort pour créer en nous un homme nouveau, en vue de briser les cadres historiques qui nous enserrent. On pourrait penser, tout d’abord, qu’il suffirait de dire que nous sommes alors dominés par des sentiments souverains ; mais tout le monde convient aujourd’hui que le mouvement est l’essentiel de la vie affective, c’est donc en termes de mouvement qu’il convient de parler de la conscience créatrice.

Voici comment il me semble qu’il faut se représenter la psychologie profonde. On devrait abandonner l’idée que l’âme est comparable à un mobile qui se meut,

  1. Bergson. Données immédiates de la conscience, pages 175-176. — Dans cette philosophie on distingue la durée qui s’écoule, dans laquelle se manifeste notre personne, et le temps mathématique suivant la mesure duquel la science aligne les faits accomplis.
  2. Bergson, op. cit., p. 181.