Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/52

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commenter ses textes comme le firent si longtemps de malencontreux disciples.

L’utopie tend ainsi à disparaître complètement du socialisme ; celui-ci n’a pas besoin de chercher à organiser le travail, puisque le capitalisme l’organise. Je crois avoir démontré, d’ailleurs, que la grève générale correspond à des sentiments si fort apparentés à ceux qui sont nécessaires pour assurer la production dans un régime d’industrie très progressive, que l’apprentissage révolutionnaire peut être aussi un apprentissage de producteur.

Quand on se place sur ce terrain des mythes, on est à l’abri de toute réfutation ; ce qui a conduit beaucoup de personnes à dire que le socialisme est une sorte de religion. On a été frappé, en effet, depuis longtemps, de ce que les convictions religieuses sont indépendantes de la critique ; de là on a cru pouvoir conclure que tout ce qui prétend être au-dessus de la science est une religion. On observe aussi que, de notre temps, le christianisme prétend être moins une dogmatique qu’une vie chrétienne, c’est-à-dire une réforme morale qui veut aller jusqu’au fond du cœur ; par suite, on a trouvé une nouvelle analogie entre la religion et le socialisme révolutionnaire qui se donne pour but l’apprentissage, la préparation et même la reconstruction de l’individu en vue d’une œuvre gigantesque. Mais l’enseignement de Bergson nous a appris que la religion n’est pas seule à occuper la région de la conscience profonde ; les mythes révolutionnaires y ont leur place au même titre qu’elle. Les arguments qu’Yves Guyot présente contre le socialisme en le traitant de religion me semblent donc fondés sur une connaissance imparfaite de la nouvelle psychologie.