Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/57

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nous ont donné les générations artisanes. J’avais en vue tout autre chose qu’une telle imitation quand je parlais d’anticipation ; je voulais montrer comment on trouve dans l’art (pratiqué par ses meilleurs représentants et surtout aux meilleures époques) des analogies permettant de comprendre quelles seraient les qualités du travailleur de l’avenir. Je songeais, d’ailleurs, si peu à demander aux écoles des Beaux-Arts un enseignement approprié au prolétariat, que je fonde la morale des producteurs non pas sur une éducation esthétique transmise par la bourgeoisie, mais sur les sentiments que développent les luttes engagées par les travailleurs contre leurs maîtres.


Ces observations nous conduisent à reconnaître l’énorme différence qui existe entre la nouvelle école et l’anarchisme qui a fleuri il y a une vingtaine d’années à Paris. La bourgeoisie avait bien moins d’admiration pour ses littérateurs et ses artistes que n’en avaient les anarchistes de ce temps-là ; leur enthousiasme pour les célébrités d’un jour dépassait souvent celui qu’ont pu avoir des disciples pour les plus grand maîtres du passé ; aussi ne faut-il pas s’étonner si, par une juste compensation, les romanciers et les peintres, ainsi adulés, montraient pour les anarchistes une sympathie qui a étonné souvent les personnes qui ignoraient à quel point l’amour-propre est considérable dans le monde esthétique.

Cet anarchisme était donc intellectuellement tout bourgeois, et les guesdistes ne manquaient jamais de lui reprocher ce caractère ; ils disaient que leurs adversaires, tout en se proclamant ennemis irréconciliables du passé, étaient de serviles élèves de ce passé maudit ; ils obser-