Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/58

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vaient d’ailleurs que les plus éloquentes dissertations sur la révolte ne pouvaient rien produire, et qu’on ne change pas le cours de l’histoire avec de la littérature. Les anarchistes répondaient en montrant que leurs adversaires étaient dans une voie qui ne pouvait conduire à la révolution annoncée ; en prenant part aux débats politiques, les socialistes devaient, disaient-ils, devenir des réformateurs plus ou moins radicaux et perdre le sens de leurs formules révolutionnaires. L’expérience n’a pas tardé à montrer que les anarchistes avaient raison à ce point de vue, et qu’en entrant dans des institutions bourgeoises, les révolutionnaires se transformaient, en prenant l’esprit de ces institutions ; tous les députés disent que rien ne ressemble tant à un représentant de la bourgeoisie qu’un représentant du prolétariat.

Beaucoup d’anarchistes finirent par se lasser de lire toujours les mêmes malédictions grandiloquentes lancées contre le régime capitaliste, et ils se mirent à chercher une voie qui les conduisît à des actes vraiment révolutionnaires ; ils entrèrent dans les syndicats qui, grâce aux grèves violentes, réalisaient, tant bien que mal, cette guerre sociale dont ils avaient si souvent entendu parler. Les historiens verront un jour, dans cette entrée des anarchistes dans les syndicats, l’un des plus grands événements qui se soient produits de notre temps ; et alors le nom de mon pauvre ami Fernand Pelloutier sera connu comme il mérite de l’être[1].

  1. Je crois bien que Léon de Seilhac a été le premier à rendre justice aux hautes qualités de Fernand Pelloutier (Les congrès ouvriers en France, p. 272).