Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/86

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obligations des uns et des autres ; il s’en rapportait au tact de chacun, au sentiment exact du rang, à l’appréciation intelligente des vrais besoins de l’ouvrier par le maître[1].

Les patrons acceptent généralement la discussion sur ce terrain ; aux réclamations des travailleurs, ils répondent qu’ils ont été déjà jusqu’à la limite des faveurs qu’ils peuvent accorder — tandis que les philanthropes se demandent si les prix de vente ne permettraient pas de relever encore un peu les salaires. Une telle discussion suppose que l’on sache jusqu’où devrait aller le devoir social et quels prélèvements le patron doit continuer à faire pour pouvoir maintenir son rang : comme il n’y a aucun raisonnement capable de résoudre un tel problème, les gens sages proposent que l’on ait recours à un arbitrage ; Rabelais aurait proposé que l’on eût recours au sort des dés. Quand la grève est importante, les députés réclament, à grands cris, une enquête, dans le but de savoir si les chefs d’industrie remplissent bien leurs fonctions de bons maîtres.

On arrive à des résultats par cette voie, qui semble cependant si absurde parce que, d’une part, les grands patrons ont été élevés dans des idées civiques, philanthropiques et religieuses[2], et que, d’autre part, ils ne

  1. Le Play, Organisation du travail, chap. II, § 21. D’après lui les forces morales sont plus importantes à considérer que les systèmes que l’on imagine pour régler le salaire d’une manière plus ou moins automatique.
  2. Sur les forces qui tendent à entretenir les sentiments de modération, cf. les Insegnamenti sociali, 3e partie, chap. v.