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le vampire.

encerclait son cerveau. Il ouvrit sa croisée et s’appuya sur l’accoudoir, morne et pensif.

La rue déserte était éclairée par la lumière du gaz. L’esprit du vieillard revint vers sa fille. Par un mouvement bizarre d’affection profonde, il se reprocha d’avoir abandonné le portrait si promptement pour une distraction sombre. Alors, ainsi qu’une mère qui craint de n’avoir pas mis assez d’amour dans la caresse donnée à son enfant, il retourna à l’image aimée et la baisa longtemps en lui adressant des phrases puériles, des paroles navrantes. Puis, rempli de sa pensée, il revint rêver à cette affection, qui, ainsi que toutes, coûtait tant de larmes. Tout au haut de la rue, dans le lointain, apparurent deux lumières. Bientôt le roulement d’une voiture qui approchait se fit entendre. Elle devait passer devant l’hôtel. Le vieillard, indifférent aux choses extérieures, la regardait venir et se plaisait à sentir son regard ainsi refoulé par l’approche des chevaux. La vitesse était grande. Tout à coup le duc, subitement pâli, poussa un cri et se pencha à la fenêtre, le regard avide. Mais la voiture avait disparu et le bruit des roues se perdait au détour d’une rue. À la portière de ce carrosse de poste, le pauvre père avait distingué une tête de femme, et, cette femme, oui, c’était elle, sa fille, son Ophélia !…

Une heure il demeura immobile frappé et inerte. Quand il releva sa tête, un sourire triste et découragé errait sur sa bouche.

— C’était une illusion !… Je te possédais trop à l’esprit, ma pauvre enfant !… C’est un éclair dont je remercie Dieu, car j’y ai cru un instant !…