Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1838, tome I.djvu/290

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pour Léon. Il s’approcha de moi, qui marchais la dernière avec mon père.

« — Vous êtes venu trop tard, lui dit celui-ci.

« — Je n’aurai donc rien ? dit Léon.

« Je ne répondis pas, mais je laissai tomber la rose que je tenais à la main. Il la ramassa et la serra sur son cœur. J’attendais depuis longtemps ce moment de le payer de ses soins, car je ne puis dire par quel charme inouï il devinait mes pensées et semblait les accomplir avant que je les eusse exprimées. Je vis du bonheur dans ses yeux et je fus heureuse. Depuis ce temps je ne lui donnai plus mes roses, je les laissai tomber ; puis il avait son rosier, un rosier où je ne cueillais de fleurs que pour lui. Dire comment sans nous parler nous nous comprenions, expliquer par quelle intelligence commune nous causions avec la parole des autres, comment un regard furtif donnait à un mot indifférent, prononcé par un indifférent, un sens qui n’était qu’à nous deux, ce serait vouloir écrire l’histoire de notre vie, heure à heure, minute