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dait, et que ses yeux ne m’avaient pas quittée. Il demeura encore longtemps ainsi ; je le voyais à travers les buissons qui bordaient le chemin où je marchais ; enfin, après avoir regardé autour de lui, il fit des gestes que je ne pouvais bien apercevoir, remonta à cheval et s’éloigna lentement.

« J’avais commencé cette promenade le cœur léger et sans penser à autre chose qu’au but de ma visite ; j’arrivai pensive à la chaumière de notre ouvrier, et ce ne fut qu’en voyant la douleur de sa femme Marianne que je me rappelai que j’étais venue voir un malade.

« — J’étais bien sûre que vous viendriez, me dit-elle, je vous guettais de la chambre d’en haut, et je vous ai reconnue quand vous avez quitté la grande route et que vous vous êtes arrêtée à causer avec un monsieur qui était à cheval.

« Je me sentis rougir à cette parole, et je m’empressai de répondre :

« — C’est un étranger qui me demandait le chemin de la forge.

« — Alors il n’était guère pressé d’arriver, car il est resté un bon quart d’heure planté là comme un terme.

« Cette nouvelle observation de Marianne me gêna. La bonne femme continua :

« — Du reste, il s’était bien adressé, et il a dû être bien étonné quand vous lui avez dit qui vous étiez ?

« — Oh ! mon Dieu, je ne lui en ai pas parlé, et il m’a prise pour une paysanne.

« — Ah bien ! il sera fièrement embarrassé s’il est encore à la forge quand vous y arriverez.

« Cela me fit penser que j’allais le revoir, et je me sentis embarrassée aussi, comme s’il avait été devant moi. J’étais si troublée que Marianne s’en aperçut et qu’elle dit :

« — Est-ce que ce Monsieur vous a dit quelque chose de déplaisant ?

« — Rien du tout.

« — C’est pourtant bien drôle ! vous êtes tout émue, et lui qui est resté là, comme cloué à sa place !

« Marianne m’observait en me parlant ainsi ; je crus lire dans son regard qu’elle ne croyait pas à la vérité de ce que j’avais dit, cela me blessa, et je lui dis avec humeur :

« — Tenez, voilà ce que je vous apportais pour votre mari.

« — Merci, merci, ma bonne demoiselle, me dit-elle avec