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« — D’un ton peu respectueux, sans doute ? dit mon frère.

« — Je ne crois pas avoir été grossier… mais vous savez… on dit…

« — Oui, reprit mon frère en riant, dans notre pays on a une façon de parler assez leste, et l’on crie volontiers : Hé, la fille !

« — Oui, Monsieur.

« — Eh bien ! faites vos excuses à la Demoiselle, qui vous pardonne, j’en suis sûr.

« Mon frère s’éloigna d’un air indifférent, et nous restâmes, M. Lannois et moi, en face l’un de l’autre. Léon n’osait lever les yeux sur moi ; son embarras me paraissait aller trop loin et commençait à me gagner ; je le vis relever en rougissant la manchette de son habit et détacher un petit cordon de cheveux qu’il me présenta.

« — À la place où vous vous êtes arrêtée, me dit-il, vous avez laissé tomber ce bracelet, et il faut bien que je vous le rende.

« Sans attacher d’importance à cette restitution, elle me parut si tardivement faite que je ne pus m’empêcher de dire à Léon :

« — Quand l’ai-je perdu ?

« — Quand vous avez tendu la main hors de votre cape, je l’ai vu tomber.

« — Et vous ne m’en avez pas avertie ?

« — J’étais si troublé ! À votre main, une main blanche et fine, j’ai vu que je m’étais trompé… C’est alors que je vous ai appelée mademoiselle… Puis, après ma grossièreté, je n’aurais plus osé vous parler ; d’ailleurs, quand j’ai ramassé ce cordon, vous étiez si loin !

« — De façon que si vous ne m’aviez pas retrouvée, vous l’auriez gardé ?

« Léon rougit comme un coupable, et répondit en se faisant une excuse d’une chose à laquelle ni lui ni moi ne pensions pas assurément :

« — Ce bracelet n’a pas une valeur telle…

« — Pour vous, peut-être ; mais pour moi !… Je l’ai fait avec mes cheveux pour me parer le jour où ma sœur s’est mariée, et depuis il ne m’a pas quittée.

« Léon regardait ce bracelet d’un regard plein d’une tristesse charmante, et il reprit assez vivement :