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bien ! répondit le Diable en nasillant comme un frère ignorantin qui interroge un enfant sur l’existence coéternelle de Dieu le père et de Dieu le fils, et qui est satisfait de la réponse qu’il a reçue.

— Et sans doute il assistait à cette scène extraordinaire dont Barnet a si bien gardé le secret ?

— Encore très-bien, repartit le Diable du même ton nasal.

— Et crois-tu qu’il veuille me la raconter ?

— Tu sais que j’ai promis de te la dire ; mais s’il veut m’épargner ce soin, il me rendra service, car j’ai affaire ici.

— Dans cette diligence ?

— Oui.

— Quoi donc ?

— Un tour de ma façon.

— Lequel ?

— Tu verras.

Sur ces paroles, le Diable disparut. Luizzi, grâce à la vision surnaturelle qui lui était accordée de temps en temps, vit le Diable se transformer en une mouche de petite dimension, de si petite dimension que personne autre que lui n’eût pu l’apercevoir. Elle voltigea un moment dans l’intérieur, et, tout en badinant, elle piqua le nez de l’ex-notaire, qui, machinalement, prit les genoux de la dame assise à côté de lui. La dame, que le Diable n’avait pas piquée, donna à M. Eugène Faynal un coup de ridicule sur les doigts : il y avait trois clefs dans le sac. Le notaire s’éveilla en sursaut, et Ganguernet lui sauta à la gorge en lui criant : La bourse ou la vie !

— Qu’est-ce ? s’écria l’ex-notaire épouvanté.

— Histoire de rire ! répondit Ganguernet ; et, tout le monde s’étant éveillé, la conversation devint générale.

Cependant Luizzi, plus curieux en ce moment de ce qui allait arriver dans la diligence que de connaître ses compagnons de voyage, ferma les yeux pour faire semblant de dormir : ce qui ne l’empêcha pas de pouvoir suivre dans son vol la mouche microscopique, qui n’était autre que le Diable. Elle sortit de l’intérieur et entra dans le cabriolet.

À côté de M. de Mérin, l’Indien des prisons de Berlin, se trouvait un jeune homme de vingt ans tout au plus. Il était beau garçon, mais il portait en lui un air de niaiserie ambitieuse que Luizzi n’eût point sans doute remarqué sans cette perspicacité subtile que le Diable lui avait communiquée. Cette faculté permit au baron de comprendre la nature de ce jeune homme, sans prévoir toutefois où elle pourrait le conduire. Il reconnut qu’il était doué d’une faculté impressive extraordinaire qui l’avait continuellement jeté dans les rêves d’une existence d’autant plus fantastique qu’elle s’était, pour