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qui, l’œil fixé devant elle, semblait avoir perdu tout sentiment de la raison. Enfin, elle s’écria tout à coup :

— Le lit du pape ! Ah ! je suis damnée !

Une voix que Luizzi seul entendit répondit en riant à cette exclamation, et Jeannette s’affaissa sur elle-même avec un soupir plaintif et doux ; elle tomba comme si tous les muscles de son corps eussent été brisés. Au moment où elle avait prononcé ces mots : Je suis damnée ! ses yeux s’étaient tournés du côté de la salle à manger, dont le baron occupait la porte. Ce regard, en passant devant lui pour aller jusqu’à Fernand, montra à Armand qu’il avait quelque chose de la sauvage expression qui animait l’œil de Satan, et quand Luizzi, en regardant Fernand, vit dans son œil immobile un reflet de ce feu sinistre qui semblait l’avoir brûlé, il comprit la menace du Diable. Mais, emporté par un sentiment de première pitié, il ferma violemment sur Fernand et sur lui la porte de la salle à manger.

— Fuyez ! dit Armand à Fernand.

— Oui, répondit-il sans s’émouvoir.

— Fuyez, ou vous êtes perdu !

— Moi ? reprit-il avec un sourire mélancolique, ils ne peuvent pas me faire de mal, j’ai ma destinée ; mais je fuirai pour eux.

— Cachez-vous plutôt, montez sur l’impériale et jetez-vous sous la bâche.

Fernand ouvrit la fenêtre. À peine était-il au sommet de la voiture que la porte de la salle à manger s’ouvrit et que quelques paysans armés de faux, de pioches, de bâtons et de fléaux, se précipitèrent vers Luizzi.

— Ce n’est pas lui, ce n’est pas lui ! crièrent plusieurs voix, et Luizzi fut aussitôt interpellé de dire où était Fernand.

Il n’avait pas achevé de leur répondre qu’il l’avait vu prendre de l’avance du côté de la grande route, qu’ils y coururent tous avec des imprécations et des menaces atroces. Pendant qu’on attelait les chevaux, Luizzi prévint le conducteur de l’endroit où Fernand était caché.

— C’est bien imaginé, lui dit-il ; car, s’il était sur la route, ils le rattraperaient bientôt, et Dieu sait ce qu’ils feraient de lui !

— Et Jeannette, qu’est-elle devenue ?

— On a cru d’abord qu’elle était morte, répondit-il, c’est pour cela qu’ils ne l’ont pas tuée. Mais M. Henri l’a fait porter dans une chambre où on l’a soignée.

— Quel est ce M. Henri ?

— Le fils du maître de poste, ajouta le conducteur, un militaire d’avant