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les Bourbons, mon ex-capitaine.

— Est-ce qu’il connaissait Jeannette ?

— Lui !… s’il connaissait Jeannette ! tiens !

Le fouet du postillon se fit entendre. « En voiture ! en voiture ! » cria le conducteur ; et chacun se hâta, triste et silencieux. Armand monta le dernier, il remarqua que le conducteur fit un mouvement de surprise en voyant le postillon se mettre en selle. Le conducteur reçut des mains du postillon une boîte enveloppée d’une couverture en cuir, et murmura entre ses dents :

— En voilà un de…

Les claquements du fouet empêchèrent d’entendre le reste. Au train dont on était mené, on eut bientôt rejoint les paysans ; ils arrêtèrent la voiture et voulurent à toute force monter dessus pour rattraper Fernand, qu’ils croyaient être en avant. Mais le conducteur refusa formellement ; et le postillon, aiguillonnant ses chevaux de la voix, du fouet et de l’éperon, eut bientôt laissé derrière lui cette troupe irritée. Aucun des voyageurs qui occupaient l’intérieur de la diligence n’avait jusque-là rompu le silence ; mais, lorsqu’ils crurent être délivrés complétement de la poursuite des paysans, ils se demandèrent ce qu’avait pu devenir Fernand. Luizzi le leur apprit.

En ce moment, comme on était dans un lieu assez solitaire, la diligence s’arrêta tout à coup. Le postillon mit pied à terre, et, élevant la voix :

— Descends, misérable ! s’écria-t-il, descends maintenant.

Le baron mit la tête à la portière, et sous la blouse du postillon reconnut l’ex-capitaine. Fernand descendit, et s’approchant de son adversaire :

— Que voulez-vous de moi ? dit-il.

— Ta vie ! ta vie ! s’écria Henri, et tout de suite, et ici même !

— Je me battrai au prochain relais.

— Ah ! tu refuses, lâche !

Et en prononçant ces mots, Henri fit un geste de menace qui laissa Fernand tranquille. Mais, rapide comme la foudre, celui-ci saisit la main qui allait le frapper, et, forçant Henri à le suivre, il s’approcha de la diligence ; puis, passant le bras qu’il avait libre sous le moyeu de l’une des roues, il souleva l’énorme machine à plus d’un pouce de terre. Abandonnant alors la main d’Henri :

— Vous le voyez, dit-il en souriant, à ce jeu vous seriez bien vite battu. Je vous ai dit qu’au prochain relais je serai à vos ordres. Comme sans doute c’est un combat à mort que