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la porte ; et, comme je voyais l’affaire en bon train, sans avoir besoin de m’en mêler plus longtemps, je redescendis dans l’estaminet. Tout le monde n’était pas monté avec nous, quelques-uns de ceux qui étaient dans le café étaient demeurés à causer sur la porte. Peu à peu ils en avaient amassé d’autres, des connaissances, des amis qui passaient, et déjà se formait un groupe assez nombreux, où l’on s’entretenait de ce qui arrivait en haut. Comme je n’aime pas à rester dans les bagarres quand je suppose que cela peut aller aux coups, j’allai me poster de l’autre côté de la rue pour voir l’effet de ma petite comédie. Ceux du premier criaient comme des enragés en frappant à la porte de Mariette, et ceux du rez-de-chaussée leur répondaient en criant : « Jetez-nous le prêtre !… »

— Mais, Monsieur, c’eût été un assassinat, interrompit Luizzi.

— Bon ! dit Ganguernet, histoire de rire. D’ailleurs l’étage n’était pas haut, et puis, les prêtres c’est comme les chats, ça retombe toujours sur les jambes, et celui-là en est une fameuse preuve, car s’il ne sauta point par la fenêtre de la rue, il sauta par la fenêtre du jardin : si bien qu’au bout d’une demi-heure, et quand il y avait déjà plus de quatre ou cinq mille personnes dans la rue, la police étant arrivée et ayant forcé la porte de Mariette, on trouva l’oiseau déniché. Mais il avait laissé ses plumes dans la cage, et, si elles ne purent pas faire reconnaître l’individu, elles apprirent du moins de quelle espèce il était.

— Ainsi, dit Luizzi, on ne trouva pas l’abbé de Sérac ? Mais comment sut-on que c’était lui ?

— Pardieu ! répondit Ganguernet, on le sut parce que je le reconnus deux jours après à l’église de Saint-Sernin, où je le rencontrai dans un coin priant et pleurant comme un fou. Il me reconnut aussi, car il se leva, et peut-être, si nous eussions été dans un endroit écarté, aurait-il essayé de prendre sa revanche.

— Et peut-être n’aurait-il pas eu tort, dit Luizzi.

— C’est possible, repartit Ganguernet, mais je vous garantis que je l’aurais ramené à la raison après la lui avoir fait perdre. Après tout, ça ne lui a pas fait grand mal, ça ne l’a pas empêché d’être nommé grand vicaire, parce que sa famille a assoupi l’affaire, et surtout parce que les jésuites n’ont pas voulu donner aux libéraux la satisfaction de voir punir un prêtre. On ne l’a pas même envoyé un mois ou deux en retraite : c’eût été reconnaître le coupable et le désigner au mépris public, qu’il avait certes bien mérité.

— Vous trouvez ? dit Luizzi.

— Enfin, dit Gan-