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Il restait immobile à sa place pendant qu’elle passait et repassait. Mais déjà il comprenait le ridicule de cette attention sans but, et il s’apprêtait à quitter sa place et à chercher madame de Farkley, lorsque cette femme quitta le bras de son promeneur et s’approcha vivement de Luizzi ; elle se pencha à son oreille, et lui dit tout bas :

— Vous êtes monsieur de Luizzi, n’est-ce pas ?

— Oui.

— À quatre heures, sous l’horloge du foyer, j’ai à vous parler.

Luizzi n’avait pas eu le temps de répondre, que cette femme s’était éloignée et que Cosmes de Mareuilles lui disait d’un air railleur :

— Eh bien ! à quelle heure votre bonheur ?

— Quel bonheur ?

— Eh pardieu ! celui que madame de Farkley compte vous donner.

— Quoi ! c’est là madame de Farkley ?

— Elle-même.

— Mais elle m’a paru, chez madame de Marignon, d’une beauté plus que contestable, et ici…

— Ici elle est ravissante, n’est-ce pas ? Elle le sait si bien, que c’est pour cela qu’elle donne ses rendez-vous au bal de l’Opéra ; et elle vous y a pris.

— Moi !

— Allons, ne faites pas le modeste ; il paraît que les avances ont été même un peu vives. Madame de Marignon est furieuse ; mais enfin vous n’êtes plus dans son salon, et je vous conseille d’être exact avec Laura, elle n’aime pas à attendre. D’ailleurs elle en vaut la peine, parole d’honneur !

— Vous le savez ?

— C’est un bruit public.

Cosmes s’éloigna, et Luizzi chercha madame de Farkley des yeux. Elle descendait un des escaliers qui conduisent dans la salle ; le lustre l’éclairait de toute sa splendeur. Quelques paroles lui furent adressées en passant. Elle se retourna pour répondre, et tout ce qu’elle avait de souplesse d’élégance, de beau mouvement, se montra à cet instant ! Luizzi s’écria encore :

— Mais cette femme est admirable !

Il regarda à sa montre : il était à peine une heure et demie, il avait deux heures et demie d’attente. Luizzi se sentit dans le cœur une impatience qui l’étonna lui-même.

— Ah çà ! se dit-il, est-ce que je me troublerais pour cette femme ? est-ce que je la désirerais assez pour m’en occuper ? est-ce que je l’aimerais ? une femme que tout le monde a possédée, qu’il est presque honteux d’avoir eue et de ne pas avoir eue ! c’est une folie. Cependant il me reste un trop long temps à attendre pour que je reste là comme un idiot à la suivre des yeux. Cherchons une occupation.