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sion bien absolue, bien désintéressée ; elle supportait à peine que du Bergh lui dît qu’elle était belle. Toutefois, ne se sentant aucune envie de se défigurer pour éprouver la sincérité de l’amour de du Bergh, elle se donnait tous les torts possibles de caractère pour bien établir cet empire excessif que les femmes prétendent plus ou moins exercer. Il est inutile de te dire que du Bergh ne se soumit pas longtemps à ce régime ; bientôt il montra, par des absences fréquentes, qu’il aimait les femmes pour quelque chose. Cet abandon causa à Nathalie une véritable rechute ; elle aimait du Bergh par vanité, et surtout comme expédient.

— Hein ! fit Luizzi à ce mot du Diable, elle l’aimait comme expédient ?

— Assurément. Nathalie s’était fourvoyée dans une fausse route, et, grâce à l’entêtement particulier à tous les petits esprits, elle y persévérait comme un enfant mutin ; mais elle avait été ravie de rencontrer un homme qui l’aidât à en sortir. Elle éprouva donc une rage indicible lorsque du Bergh parut s’éloigner d’elle. C’était une chute d’orgueil : rien n’est plus dangereux pour les femmes, et Nathalie en tomba sérieusement malade. Firion alla chercher un médecin…

— Pour sa fille ? dit Luizzi en bâillant.

— Non, pour du Bergh.

— Pour du Bergh ?

— Oui : il alla chez une espèce de bourreau très-connu pour les soins mortels qu’il donnait à ses malades. Firion aborda le médecin en lui racontant naïvement la vérité, en lui disant tout simplement combien il avait de millions et par quel caprice de sa fille il les dissimulait. Firion retrouva tout son esprit en cette circonstance, car c’est chose difficile de mentir avec la vérité. Puis, sans laisser au médecin le temps de se reconnaître, il lui apprit que sa fille avait rencontré enfin l’homme qu’elle désirait, et que cet homme était le baron du Bergh.

« — Du Bergh ? dit le médecin stupéfait.

— Oui, reprit Firion sans se déconcerter, et je donnerai cent mille francs à l’homme qui le guérira de la maladie mortelle dont il est atteint.

— Comment, une maladie mortelle ? reprit le docteur, dont l’oreille et l’intelligence s’ouvrirent à la fois au mot de cent mille francs. Une légère irritation de poitrine, voilà tout. Mais, s’il veut écouter mes avis, en deux mois il sera aussi bien portant que vous et moi.

— Eh bien ! dit Firion, voyez-le, guérissez-le, mais gardez-moi le secret. Je mets en vous toute ma confiance.

— Elle ne sera point trompée.

— Je l’espère. »

Firion avait eu raison : la confiance qu’il avait dans le doc-