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dame du Bergh.

— J’y viens, monsieur le baron, j’y viens.

— Sans doute, mais par des détours qui m’ennuieront.

— Et que tu allonges indéfiniment.

Luizzi contint son impatience, et répondit :

— Parle donc, parle comme tu l’entends !

— Eh bien ! dit le Diable, as-tu jamais lu Molière ?

— Oui, je l’ai lu, lu et relu.

— Eh bien ! puisque tu l’as lu, lu et relu, as-tu jamais remarqué que ce poëte bouffon avait la pensée la plus grave de son époque ? as-tu jamais remarqué que cet écrivain, qui a parlé de tout en termes si crus, a été l’âme la plus chaste de son temps ? as-tu jamais remarqué que ce moqueur si plaisant a été le cœur le plus mélancolique de son siècle ?

— Oui, oui, oui, oui, dit Luizzi avec emportement et comme s’il eût compris une seule des questions que le Diable venait de lui faire ; oui, oui, ajouta-t-il, j’ai remarqué tout cela, mais qu’en veux-tu conclure ?

— Rien du tout, repartit le Diable : mais je veux te demander encore si tu as remarqué que dans cet auteur à la pensée grave, à l’âme chaste, au cœur mélancolique, il y a cette phrase dans une pièce appelée le Malade imaginaire : « Monsieur Purgon m’a promis de me faire faire un enfant à ma femme. »

— Oui, je connais cette phrase, répondit Luizzi ; mais je ne vois pas…

— Tu ne vois rien, repartit le Diable en l’interrompant. Seulement, si jamais, comme tu en as l’intention, tu fais imprimer et publier ces souvenirs, n’oublie pas de mettre en épigraphe cette phrase à l’anecdote que je vais te raconter.

— Sur madame du Bergh ? dit Luizzi.

— Sur madame du Bergh, repartit le Diable.

— Enfin ! s’écria Luizzi.

— Nous y voilà ! dit Satan… Or, quand du Bergh fut mort, Nathalie demeura quelque temps en face de ce cadavre, et la première chose qu’elle se demanda, ce fut si elle devait faire à son père la confidence de son crime. Nathalie était une fille beaucoup trop supérieure pour garder longtemps cette incertitude, elle savait le secret de son père, son père ne savait pas le sien ; il fut décidé par elle qu’elle se tairait. Pour cela, il lui fallut un courage bien extraordinaire, celui de passer la nuit près de ce cadavre, de le déshabiller, de le mettre dans son lit, et de faire en sorte que, lorsqu’on entra le lendemain dans la chambre, on pût croire qu’elle avait dormi à ses côtés. D’après ce que je t’ai raconté cette nuit, il ne te paraîtra pas extraordinaire que la mort de du Bergh n’ait pas excité le moindre étonnement et qu’il ait été très-judiciairement en-