Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

gnon ne suffirent pas pour dégriser le baron de son délire, et jamais il n’avait jeté ses gants, son chapeau et son manteau avec plus d’aisance et de bonne grâce que ce soir-là. Luizzi n’était pas un homme à faire de la fatuité vis-à-vis d’un valet ; mais il était tellement gonflé de lui-même en ce moment, que ce fut d’un ton tout à fait particulier et extravagant qu’il s’écria :

— Est-ce qu’il est venu quelqu’un ce soir ?

— Oui, monsieur le baron, répondit le valet de chambre ; une dame.

— C’est vrai, dit Luizzi, d’un air étonné, je l’avais oubliée, je ne comprends pas comment je l’ai oubliée. Et qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Elle a dit qu’elle attendrait le retour de monsieur le baron.

— Ah ! fit Luizzi, dont cette nouvelle changea subitement le ton et l’assurance. Et combien de temps a-t-elle attendu ?

— Mais, monsieur le baron, elle a attendu jusqu’à présent, dit le domestique ; elle est dans votre chambre.

— Dans ma chambre ? reprit Luizzi.

— Oui, monsieur le baron ; je vais aller la prévenir que vous êtes rentré.

— C’est inutile, dit Luizzi avec humeur ; laissez-moi, et vous ne viendrez que lorsque je vous sonnerai.

Aussitôt Luizzi entra dans sa chambre.


XXI

SECOND FAUTEUIL : QUI LA VOUDRA, L’AURA.


Le sentiment qui dominait le cœur du baron, quand il ouvrit la porte, était un mélange assez incohérent de colère, de surprise et de dépit. Cette femme venait de lui gâter le succès qu’il avait obtenu chez madame de Marignon, et il était probable qu’elle n’était pas restée pour la même raison qui l’avait fait venir. Luizzi s’attendait tout au moins à une scène ; il fut donc bien étonné lorsqu’au lieu d’une femme irritée, comme il avait supposé que devait être madame de Farkley, il trouva une femme toute en pleurs, et qui, lorsqu’il s’approcha d’elle, joignit les mains et lui dit d’un ton désespéré :

— Oh ! Monsieur ! Monsieur ! il vous était réservé de me frapper de mon dernier malheur !

— Moi ! Madame ? reprit