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Luizzi d’un air fort dégagé, je ne sais en vérité ce que vous voulez dire ni de quel malheur vous voulez me parler.

Madame de Farkley considéra Luizzi d’un air de stupéfaction, et lui dit plus paisiblement :

— Regardez-moi bien, Monsieur. Me reconnaissez-vous ?

— Je vous reconnais, Madame, pour une femme fort belle, que j’ai vue hier chez madame de Marignon, que j’ai retrouvée à l’Opéra, et que je n’espérais pas avoir le bonheur de recevoir chez moi ce soir.

— Alors, reprit Laura, quel a été le motif qui vous a fait asseoir près de moi chez madame de Marignon ?

Luizzi baissa les yeux modestement, et répondit avec l’humble impertinence d’un homme qui craint de se vanter d’un succès :

— Mais, Madame, il ne doit pas vous sembler extraordinaire de voir… qui que ce soit, chercher à vous connaître.

À cette réponse, la figure de madame de Farkley se décomposa, une pâleur subite la couvrit. Elle répondit d’une voix altérée :

— Je vous comprends, Monsieur, il ne doit pas me paraître extraordinaire que… qui que ce soit prétende devenir mon amant…

— Oh ! Madame !

— C’était votre pensée, Monsieur, reprit madame de Farkley, qui contenait mal au fond de ses yeux les larmes prêtes à couler, et au fond de sa voix les sanglots prêts à éclater.

Et tout aussitôt, par un violent mouvement nerveux, il sembla que Laura se rendît maîtresse de cette émotion. Elle reprit d’une voix qui affectait une gaieté pénible :

— C’était votre pensée, Monsieur ; mais je ne crois pas que vous en ayez mesuré toute l’audace. Devenir l’amant d’une femme comme moi, savez-vous que c’est bien dangereux ?

— Je ne suis pas moins brave qu’un autre, répondit Luizzi avec un sourire plein d’une suprême impertinence.

— Vous croyez ? reprit madame de Farkley. Eh bien ! moi, je vous jure, Monsieur, que vous auriez peur si j’acceptais vos hommages.

— Veuillez essayer mon courage, dit Luizzi, et vous verrez ce dont il est capable.

— Eh bien ! dit madame de Farkley en se levant, je serai votre maîtresse, Monsieur : mais auparavant, il faut que vous sachiez bien ce que vous soupçonnez déjà sans doute, c’est que je suis une femme perdue.

— Qui dit cela ? reprit Luizzi en essayant de calmer l’agitation de