Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeura confondu. Cela ressemblait si singulièrement à ce qui s’était passé à Toulouse, qu’il sentit un effroi soudain s’emparer de lui. Mais en rapprochant les dates, en se rappelant qu’il n’y avait pas deux mois qu’il avait très-imprudemment joué l’honneur de madame Dilois, il se rassura. Puis, comme les méchantes actions ont un art infini pour se trouver des excuses et un art infini pour condamner celles des autres, il se dit à part soi : « Madame de Farkley aura su l’aventure qui m’est arrivée à Toulouse, et la voilà qui se l’attribue et qui l’encadre dans sa vie passée pour mieux me la faire croire : mais la ruse est trop grossière, et je ne m’y laisserai point prendre. » Délivré de ce petit mouvement d’anxiété, il reprit la lettre et lut ce qui suit :


« Cependant, avant ce fatal duel et dans un premier mouvement d’épouvante, je m’étais retirée vers celle qui m’avait fait connaître ma naissance et le nom de mon père. Dans un premier mouvement de désespoir, j’étais allée lui reprocher de m’avoir amené cette enfant qui m’avait valu toutes mes douleurs : mais je n’eus rien à lui répondre que des larmes, lorsqu’elle me dit :

« — Cette enfant, c’est votre sœur ! cette enfant, c’est… notre sœur ! — Notre sœur ! lui dis-je. — Oui, reprit-elle, nous sommes toutes trois les enfants d’une mère bien coupable. »

« Sainte et noble martyre, misérable sœur qui n’est plus, ai-je à me plaindre de ce que j’ai souffert, moi, à qui tu dis alors le secret de ta vie ? Mais à ce moment je l’ignorais, et je m’écriai :

« — Et qu’est-elle devenue, celle qui nous a ainsi livrées au malheur ? — Elle a quitté la France. Je n’ai pas voulu savoir ce qu’elle est devenue. J’ignore sous quel nom elle a caché sa vie, et que Dieu nous garde de l’apprendre jamais ! Mais, reprit-elle, ce que tu ne sais pas, ce qu’il y a de plus affreux encore, c’est que l’homme qui veut te perdre est le frère de cet orphelin que tu as sauvé… »

« Je ne rentrai chez moi que pour savoir qu’il était mort. C’est alors qu’imprudente j’écrivis à ma sœur cette fatale lettre que l’on rendit publique. Je m’étais enfuie de la maison de mon mari, et j’appris qu’il avait trouvé la mort dans son second duel, en apprenant qu’il savait que j’étais innocente.

« Vous me comprenez maintenant, Armand, vous comprenez cette lettre que je vous ai écrite et que vous n’avez