Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/272

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pas reçue, sans doute, puisque vous n’y avez jamais répondu… car maintenant cette histoire n’a plus pour vous de mystère, n’est-ce pas ? vous devinez tout. Je ne vous rappellerai pas les confidences de ma pauvre sœur ; hélas ! elle m’avoua tout, l’infortunée ! Je ne vous en dirai pas davantage. De trop douloureux souvenirs se mêleraient à mon récit, et aujourd’hui, Armand, je ne veux pas m’abandonner à d’inutiles récriminations… »


Luizzi se frotta les yeux ; il n’était pas bien sûr qu’il fût éveillé ; il sentait comme une espèce de déraison qui s’emparait de lui ; il était dans l’état d’un homme qui rêve et qui poursuit des ombres qui lui échappent sans cesse ; il se leva, se promena dans sa chambre, cherchant une explication à ce qu’il venait de lire, et obligé de croire ou à sa folie ou à la folie de la femme qui lui avait écrit. Enfin, pour s’arracher à cet horrible état où sa tête se perdait, il reprit la lecture de cette lettre ; elle continuait ainsi :


« Je passe à une autre époque de ma vie. Mon père, informé de tous mes malheurs, m’appela près de lui ; il m’emmena en Italie et me fit épouser M. de Farkley ; il me fit changer jusqu’à mon nom de baptême, pour que rien ne rappelât au monde ce que j’avais été et les calomnies dont j’avais été l’objet. Mais à Milan, un homme de notre pays, qui s’appelait Ganguernet, me reconnut : deux jours après on savait, non pas l’histoire vraie de ma vie, mais l’histoire que les apparences en avaient faite. On m’insulta, on me chassa du monde. Mon mari voulut me défendre, il y périt aussi. Comprenez-vous maintenant qu’une femme dont on peut dire qu’un amant et deux maris ont péri en duel pour sa mauvaise conduite, ait pu passer pour une femme perdue et être traitée comme telle ? Je m’arrête. Ce soir, ce soir, vous viendrez me voir, n’est-ce pas ? Mon père sera là. J’obtiendrai votre pardon, et peut-être consentira-t-il à vous apprendre ce qu’est devenue ma mère. Il m’a dit qu’elle existait et qu’il saurait bien la forcer à protéger désormais la fille qu’elle a perdue.

« Aimez-moi, Luizzi, aimez-moi ; il y a bien des larmes entre nous, et, malgré la promesse de mon père, vous êtes encore ma seule espérance.

« Laura. »


La tête de Luizzi s’égarait de plus en plus ; il sentait ses idées errer dans son cerveau comme une foule prise de ver-